Centre de formation et de réinsertion pour adultes handicapés
Avec les groupes croisés au centre, l’imagination ne manque pas, bien au contraire ! Elle est chaque semaine au rendez-vous. Plein de ressources, chaque stagiaire a su utiliser et s’approprier les dispositifs. Le « faire du beau » au centre de leurs préoccupations au début s’est petit à petit effacé pour laisser place à plus de créativité et d’inventivité. En travaillant au fil des séances sur mes dispositifs et en les ajustant aux groupes, un certain lâcher-prise s’est installé. Comment ?
J’ai cherché à rendre mes dispositifs de plus en plus épurés ou de plus en plus abstraits. De plus en plus vides, pour qu’ils suscitent l’ennui et/ou qu’ils viennent bousculer les règles communément établies « Comment vais-je bien pouvoir faire avec ça ? »
C’est à ce moment là que la séance commence..
Les premiers dispositifs proposés sont constitués de choses glanées dans la nature : coquillages, sables, bouts de bois, feuilles de différentes couleurs etc… Déjà prédestiné à l’évasion, le dispositif induit le repos, la balade, les souvenirs de…, bref, la rêverie dans la nature.
L’imagination travaille à demi. Les galets, les feuilles, le sable, tout est déjà là. Tout est déjà prêt. Pré-dit. Chacun recrée une plage, une forêt et rares sont ceux qui transforment une feuille en bateau pour explorer des rivages plus lointains…
J’épure alors un peu plus mon dispositif mais il reste riche. Les « clichés » arrivent encore très vite, mais la créativité se tortille pour trouver des solutions. Le peu d’objets proposés se transforment selon les besoins de l’imagination de chacun. Mais au final, ni ennui, ni bousculade. Le sable, les coquillages et les galets ont encore fait le job à la place de tout le monde. A la place de l’art-thérapeute aussi ! Une fois le bricolage « réussi » chacun s’arrête et le fige, en photo, fier d’avoir su faire avec si peu ! Ici pas vraiment de questionnement, pas de recherche de solutions, il suffit d’assembler et de faire avec des éléments déjà très connotés : sable = mer et feuilles = foret. (Ceci dit, ces dispositifs proposent un temps de repos méditatif qui a le mérite d’exister !)
Par contre, si je viens bousculer avec un « intrus » la donne change : « qu’est-ce que ça fait là ça ? », « pourquoi c’est là ça ? » . Cela peut être un petit objet qui n’a rien à voir avec les éléments proposés comme un bouton, ou une invitation à explorer le dispositif qui sème le doute, va à contre sens, est absurde : « Je vous invite à écrire vos mémoires », « Je vous invite à faire votre portrait ».
Dès lors il va falloir se creuser la tête et mettre en route sa créativité pour s’en sortir. « quoi ? Avec ça ? C’est pas possible ! ». On ne sait pas comment faire, alors on s’ennuie un peu, on trouve le temps long, on regarde son voisin, des blancs s’installent, gênant pour certains, le silence est pesant et met mal à l’aise. De mon côté j’attends et je tiens mon cadre, je reste concentrée pour ne pas céder aux attentes de chacun, pour ne pas donner plus pour faire plaisir. La tentation est grande de parler pour combler et faire taire le silence qui est assourdissant. « Et si on mettait un peu de musique ?», « vous avez des feutres ? », « c’est chiant en fait ! » « j’ai pas envie », « j’ai pas d’idée…. » etc… En restant à ma place, « de côté », et en ne cédant pas, les mains finissent par prendre la parole. La créativité en marche a brisé le silence pesant laissant la place à un silence concentré et créatif. La séance est presque trop courte tant chacun est plongé dans son imaginaire ! Le silence a donné vie à des bricolages singuliers, hors des communs.
« La véritable musique est le silence et toutes les notes ne font qu’encadrer ce silence. »
Miles Davis
Nous avons également utilisé des dispositifs « collage »
Le but est toujours de s’ennuyer pour que le processus créatif s’enclenche, que la recherche s’active. Lors de la première de ce dispositif « papier », je propose des images, des magazines et je laisse faire : chacun déchire sa maison de rêve, la piscine etc…. et reconstruit une belle image, identique aux lieux communs et après, « on a fini ». C’est le même processus : c’est « beau », on stoppe, on photographie. La semaine suivante chacun des bouts de papier mis à disposition ne contient aucune image reconnaissable, l’abstraction est maître. Cela force le processus créatif, demande l’énergie d’imaginer, d’improviser, de se projeter… Là encore, avec trois fois rien le processus de recherche de solutions créatives se met en route pour combler les manques.
C’est une « démarche » identique pour tous les dispositifs tels qu’ils soient. L’art-thérapeute a une idée, crée un dispositif, le propose. Il semble que sa propre peur de manquer/ses idées créatives transpirent dans cette première proposition – sans pour autant qu’il s’en aperçoive sur le moment (trop de choses, trop investi, trop connoté etc…). L’expérience montre la voix. Là commence alors son travail d’ajustement et « d’éloignement » pour laisser plus de place, toute la place aux stagiaires via le dispositif.
Conclusion
Lors de l’utilisation de ces dispositifs, nombreux sont ceux qui, assis autour de la table sans rien faire, pas inspirés du tout, se sont laissé porter par les échanges du groupe et ont bricolé, machinalement. Ils ont laissé parlé leur imagination qui naviguait au grès des échanges.
D’autres dispositifs ont suivi, plus abstraits. Nous avons « écrit » à l’encre de chine – avec des coquillages et des branches d’un mètre (pas facile !) Nous étions « quelque part sur une plage à gribouiller dans le sable ».
Nous avons vogué sur un bateau de papier géant et cherché nos trésors. Chacun, au bout de ces quelques semaines d’atelier, a totalement intégré ce qu’est l’art-thérapie et s’en est servi comme bon lui semblait. Moment de repos pour les uns, méditatif pour les autres, l’occasion pour certains de se « lâcher », de partager avec ceux et celles qu’ils voient tous les jours. Bref, un temps pour soi, une « sieste créative » pour bousculer son imagination.
La suite de cette première expérience s’envisage avec des dispositifs déjà éprouvés et restés en l’état. Le mouvement s’invite en nous faisant quelques fois quitter la table pour investir l’espace dont nous disposons (en restant toujours à la portée de toutes et tous). Nous avons souvent utilisé les mots (mots pré-découpés, poésies ou citations) dans les ouvertures seulement afin de ne pas influencer les bricolages. Cela s’est avéré très fructueux, les groupes rencontrés s’étant beaucoup exprimés oralement. Il me semble judicieux de leur proposer un peu plus cet outil dans les futurs dispositifs toujours de manière ludique et créative : En utilisant par exemple le « son » du mot, sa musique et non son sens, en n’utilisant que des voyelles ou des consonnes etc…
Le moment « photo » a presque disparu lors des dernières séances. Nous avions parlé avec les stagiaires de ce besoin d’immortaliser le bricolage alors que l’éphémère est au centre de l’art-thérapie. Ils en ont, pour la plupart je pense, bien compris les enjeux, mais chacun était fier de pouvoir montrer ou de revoir ce qu’il avait pu faire avec trois fois rien. Chacun s’est senti revalorisé au travers du groupe par le biais de l’art-thérapie.
En 2022, continuons d’être bienveillants, créatifs et heureux !
Bonne année à tous !
LJ.